Le scantrad en mémoire

Puisque j’ai eu le malheur de donner le sujet probable dont traitera mon mémoire de Master 1, quelques questions se sont enchaînées. Je vais faire cours, et court.

Azy, c’quoi l’scantrad, woh ?
Le scantrad, c’est une pratique consistant à prendre des planches de BD scannées (scan-) et de les traduire (-trad) dans une autre langue. Il me semble que c’est exclusif à internet, même si j’imagine qu’avant que les maisons d’édition aillent chercher des contrats à l’étranger, des fanzines devaient se passer sous le blouson.
Ce sont des groupes de gens (de tout âge, mais je note d’expérience qu’ils.elles ont généralement entre 15 et 22 ans (c’est une fourchette au pif, mais plus l’âge passe, plus le temps de la vie IRL prend de la place, ce qui réduit les légions de scantradeurs)) qui travaillent bénévolement, majoritairement sur des mangas (ce qui s’explique par la profusion incroyable des chapitres créés par l’industrie de la BD japonaise, et par le fait qu’on a commencé à les importer en Europe très tardivement, ce qui offre cinquante ans de production quasiment méconnues). Il existe bien quelques teams qui scantradent les comics, mais elles restent extrêmement réduites.

’kay, et tu vas où avec ça ?
Comme je le disais, ce sont des jeunes gens qui traduisent des BD pour les disposer gratuitement en ligne. Sans demander à personne. Gratuitement. Vous le voyez venir, le problème ?
Légalement (en France en tout cas, j’ai pas pris le temps de lire les lois à l’étranger), le scantrad pourfend les droits d’auteur et les accords des ayants droits. C’est illégal. Aucune excuse à ça.
Le scantrad c’est du piratage, le scantrad c’est du vol.

Les maisons d’édition ont déjà fait des chasses aux teams qui traduisaient des mangas licenciés en France. La Shueisha également via son antenne européenne VIZ Média. Bien sûr, c’est internet. Un site qui ferme, c’en est trois autres qui s’ouvrent. Le combat se fait donc moins rude aujourd’hui. (Je dis ça, en fait c’est une conclusion empirique. Mais la communauté de scantrad en parle tout de même beaucoup moins qu’il y a cinq ans.)

Ah ouais. Mais y a rien de plus à dire alors.
Beh oui. C’est tout.
Sauf que je vais essayer de recontextualiser cette pratique dans le monde actuel de l’édition (surabondance des sorties BD, sélection des meilleurs ventes étrangères par les éditeurs, éthique des scantradeurs) pour faire valoir la légitimité du scantrad. Parce que j’suis pour le droit d’auteur et tout, mais les maisons d’édition ne peuvent pas s’occuper de toute la production étrangère, ce qui signifie un accès à une part de la culture amoindrie (c’est pour défendre les scantradeurs de BD (manga ou non) non-licenciés en France) ; et que le marché français n’est pas préparé à suivre un rythme de publication au plus proche de celui japonais (c’est pour défendre les scantradeurs de chapitres de manga (qui sortent quasiment de façon hebdomadaire) licenciés en France).
Et c’est sans compter les autres détails (du genre des séries qui ne seront jamais publiées jusqu’au bout ou des attentes en vain de rééditions, ou que la lecture en ligne n’a pas un impact négatif sur les ventes), je considère que le scantrad est un bien pour le partage culturel de la BD, malgré les réalités économiques (la situation précaire des auteurs, encore vérifié ces derniers jours lors des rencontres nationales de la BD) que brandissent les éditeurs à l’encontre de cette pratique.

Bande d’anarchistes !
Qui sait. En tout cas, pour trouver des sources et des chiffres, c’est effectivement l’anarchie au sens péjoratif. Savoir combien de teams il existe, quels projets ils scantradent, combien de teams ont dû arrêter pour éviter un procès, contacter les auteurs étrangers pour connaître leurs avis, des études entre la vente et la lecture gratuite préalable… C’est pas simple. Le scantrad étant une pratique jeune et d’internet, c’est un microcosme inconnu de beaucoup, et ignoré par d’autres. Si les éditeurs s’y sont intéressés, c’est que cela ne doit pourtant pas être si négligeable.

Et on t’avait pas demandé tes axes et bibliographie ?
Ouais mais attend, la rentrée est pas encore faite. Ça se trouve, je vais partir sur autre chose parce que justement ma bibliographie et mes sources seront trop faibles, ou que je n’aurais pas assez à dire pour faire une cinquantaine de pages.
En tout cas je pensais déjà commencer par un point sur la communauté en expliquant ce qu’est le scantrad, les différentes étapes, les gens qui en font partis, la diffusion, les dérives, etc. Puis m’en aller vers les maisons d’édition, leurs tentatives de faire arrêter le scantrad, les différents essais pour créer des réponses à la demande à laquelle répond le scantrad, leurs points de vue. Et pour l’instant c’est tout.
C’est un peu trop dualitique à mon goût : scantrad v maison d’édition. J’imagine que je trouverai une solution à ça en avançant dans mes recherches.

Si vous avez d’autres questions, des suggestions, des “mais en fait, c’est le même débat que pour le streaming”, ou des images de rhinocéros à partager, j’suis preneur. Merci.

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Alors Bon j’ai lu un peu rapidement donc ca ne sera peut etre pas toujours très pertinent .

Je me demandais si on pouvait comparer les traducteurs de scantrad aux traducteurs amateurs de series sur internet. Ils ont certains points communs mais à voir pour la légalité ? car les traducteurs de series peuvent dissocier leurs travaux de traduction de l’acte de piratage ?

Après est ce que le piratage c’est du vol ? C’est de la reproduction illégal?

Et est ce que ca ne serait pas bénéfique pour une Bd d’être “scantradé”?

On peut rapprocher le travail de scantradeurs au travail « simple » de traducteurs (de série, films, animes). Ils prennent un texte d’origine pour le traduire. Mais je vois quand même une certaine différence car dans le cas d’une vidéo, le texte écrit n’existe pas à la base (sauf rare cas de sous-titrage volontaire lors d’un passage multilingue par exemple, mais dans ce cas le traducteur amateur va rajouter sa traduction par dessus, sans pouvoir enlever le sous-titrage de base). Dans le cas de bande dessinée, le texte fait partie intégrante du médium et les scantradeurs ont donc des étapes de cleanage de la page (qui consiste à retirer le texte d’origine, vider les bulles en gros (et également rendre le blanc blanc et le noir noir, selon les défauts du scan des planches)) et d’édition (qui consiste à rajouter la traduction, la centrer, choisir la police d’écriture, etc.). Il y a donc une opération sur le médium même, et qui amène le scantradeur appliqué à soigner l’esthétique de ces deux opérations pour le bien de la lecture. C’est encore plus probant lors des textes hors-bulle, sur le dessin même. Il y a une étape de reconstruction du dessin (ignorée par quelques teams qui ne se soucient que de la rapidité de production) pour ensuite y placer la traduction. Je n’irai pas jusqu’à dire que celui qui reconstruit l’image devient un auteur supplémentaire, mais il y a certainement un rapport étroit bien plus fort entre le scantradeur et le texte que le traducteur amateur de vidéos/films/séries/etc.

Comme je le dis au départ, télécharger gratuitement une œuvre payante, ainsi que partager gratuitement une œuvre payante, c’est interdit par les droits d’auteurs. Il faudra que je regarde précisément le texte, mais Hadopi n’existe pas pour rien. (Oui, Hadopi existe et frappe encore.)

C’est difficile à mesurer, comme je le dis également. Je ne connais aucune étude sur la vente des BD scantradées. On peut bien sûr prendre ailleurs qu’en BD pour chercher un exemple, avec Game Of Thrones. Série la plus piratée sur internet, et qui malgré ça ne voit pas son succès et son chiffre baisser. (On me dira que le financement télé est différent de celui éditorial. C’est vrai.)
Récemment, en 2012, est sorti au Japon le webcomic (dit-on webmanga ?) One-Punch Man (par One et Murata) qui a rencontré un succès immédiat au Japon, et chez les lecteurs de scantrad. Plusieurs éditeurs français ont voulu acheté la licence et je crois que la Shueisha a négocier durement les droits, car il a fallu attendre 2016 pour le voir sortir en France chez Kurokawa. (Il faudra également que je vérifie mais en général, les manga ayant un succès au Japon mettent deux ans à arriver en France.)
Je ne doute pas que le manga aurait eu un succès en France sans le scantrad (et l’anime, rendant à César sa couronne, il y a plus de spectateurs d’anime que de lecteurs de manga j’ai l’impression). Je ne peux pourtant m’empêcher de croire qu’il aurait fallu plus de temps pour que le manga se fasse un nom en France.
Le scantrad est presque une façade de publicité.

Mais encore, je me place dans une position subjective de scantradeur et de lecteur. Les éditeurs ont peut-être une idée différente de la chose.

Concernant les techniques utilisées par les maisons d’édition pour faire arrêter le scantrad, je ne sais pas si c’est une première mais Kazé s’est mis à publier les chapitres du manga Platinum End du duo Ôba/Obata en simultané avec le Japon, ce qui a rapidement abouti à un abandon de la traduction par les scantradeurs :
http://www.japan-shin.info/platinum-end-arret-du-scantrad-arrivee-chez-kaze-en-numerique/#
La version française et payante par Kazé est donc la seule encore disponible sur la toile, ce qui peut à la fois encourager les lecteurs à se tourner vers les librairies numériques ou les versions reliées (ce que je considère comme étant une bonne chose) et nuire à la visibilité de l’œuvre (ce qui est déjà moins top). Dans le cas de Platinum End, les ventes du deuxième tome relié (à noter que le scantrad s’est arrêté au chapitre 4, correspondant au premier chapitre du deuxième tome) ont apparemment augmenté de 50% selon GfK, ce qui laisse supposer que le scantrad a eu une véritable influence sur les ventes de ce manga. Après la question est de savoir si les ventes se sont envolées parce que le scantrad menaçait ces dernières et qu’après son arrêt les gens n’avaient plus d’autre choix que de payer, ou si elles se sont envolées parce que le scantrad avait déjà proposé le premier tome gratuitement et que les gens avaient déjà eu un aperçu de l’œuvre… ou les deux !

Il me semble que Pika avait fait de même avec Shingeki no Kyojin (l’Attaque des Titans en VF) et UQ Holder!. Il y a beaucoup de chose à dire sur cette méthode.

Déjà avec Platinum End et SnK, les deux offres sélectionnent des manga à sortie mensuel, et mettent les chapitres à disposition en ligne pour 0,99€. À raison de 5 chapitres environ par tome, il coûtera en dématériel 4,95€. S’il y a achat du tome papier derrière (6,95€), cela amène à 11€90 le coût d’un manga en France si on veut suivre la prépublication. On est d’accord, c’est une question de choix, lire en avance ça a un coût. Mais imaginons les chapitres de tous les manga proposés à 1€, le coût augmente. D’autant que pour un chapitre de 50 pages, 1€ peut paraître correct, autant pour un chapitre de 20 pages, c’est plus embêtant. Je n’ai pas réussi à retrouver l’offre simulpub de Pika (peut-être ont-ils arrêté), je ne sais pas donc pas quel prix était un chapitre de UQ Holder! qui contient 20 pages par chapitre. Mais Pika avait annoncé qu’il voulait passer d’ici fin 2015 à un catalogue conséquent dans leur offre de prépublication numérique. Je vais essayer de savoir où ils en sont.

Aux États-Unis, il existe un site nommé Crunchyroll qui propose une offre d’anime et manga en ligne en quasi simultané avec la sortie nippone. Il s’agit d’une sorte d’abonnement Netflix où un prix mensuel est proposé pour la lecture et visionnage à volonté du contenu du site. Sa version française ne propose que des animes. Peut-être que cette offre serait plus prometteuse. Mais il faudrait pour cela que les éditeurs français s’accordent sur une plateforme commune, et traduisent une grande part de leurs projets en quasi-simultané afin d’avoir une offre conséquente. Peut-être faudrait-il qu’ils concèdent les droits numériques à un tiers organisme qui s’occuperait de cela. Encore une fois, je ne me suis pas encore renseigné auprès des éditeurs.

Quant au fait que cette offre ait arrêté sa publication en scantrad, ce n’est qu’à moitié vrai. La team Japan Shin (qui possède une assez grande visibilité et communauté) n’a pas voulu faire concurrence à cette offre, voyant cette proposition de Kazé comme une possible solution à l’une des demande qui a fait grandir et perdurer le scantrad : la lecture simultané. Mais l’une des particularité du scantrad, c’est qu’il n’y a pas de droits sur la prise en charge d’un projet. Deux teams peuvent traduire le même manga. Bien qu’il y ait souvent un consensus pour limiter la perte de temps que cela apporte, il arrive souvent que lorsqu’une équipe arrête un manga pour x ou y raison, une autre récupère le projet. (J’ai personnellement connu ce cas avec Bakuman, dont la première équipe a arrêté lors de l’arrivée de la licence en France, récupéré par une seconde équipe qui a arrêté (suite à une demande de l’éditeur il me semble) qui a été récupéré par l’équipe pour laquelle je travaillais à l’époque).
Et si tu tapes “Platinum End scan” sur google, le premier lien est un site de lecture en ligne avec le dernier chapitre en français. L’impact de l’offre de Kazé sur le scantrad est donc limitée au code moral de sa communauté.

Et simplement pour finir, parce que mon message est déjà trop long pour ne pas le rallonger davantage, on parle ici de scantrad pour les projets licenciés en France. Une autre part importante du scantrad est celle des manga non-licenciés. La Miam-Miam Team (je n’apporterai aucun jugement sur le choix des noms) par exemple a beaucoup insisté sur le fait qu’ils arrêteraient toute série licencié en France. (Ce sont loin d’être les seuls, mais leur politique est construit sur la volonté d’un scantrad légal.) Les maisons d’éditions françaises n’auront donc pas beaucoup de poids face à des teams comme celles-ci.

À force de faire des longs messages, j’vais rajouter des gif de rhino pour me faire pardonner.



En faite, ce que je voulais remettre en cause quand je disais ça, c’était la notion de « vol » ( dans le scantrad mais dans tout piratage en faite) qui ne me semble pas adapter (mais là, encore je ne suis pas sur)

si je vole un bien, son ancien propriétaire ne pourra plus jouir de ce bien.
Si je le copie, alors il n’y a pas vol ?